MARIE DE SOLEMNE

MARIE DE SOLEMNE

vendredi 28 août 2009

LA GÉOMÉTRIE DU DÉSIR


DÉSIR D’ÊTRE OU DÉSIR D’AVOIR ?

Contrairement à ce que nous imaginons, le désir voyage rarement sur une droite tranquille absoute de tout danger ou de toute erreur. La problématique du désir emprunte souvent des paysages plus compliqués où les fausses lumières de l’envie et du besoin nous égarent souvent bien loin du bonheur attendu, de la quiétude espérée. De courbes en angles plus ou moins aigus, la géométrie du désir exige que l’on s’y attarde un peu pour séparer le bon grain de l’ivraie, et mieux connaître les différentes émotions qui, tour à tour, s’emparent de nous.

Si, par exemple, il est de plus en plus clair que notre société occidentale passe son temps à transformer les désirs en besoins, trois questions s’imposent : par quel artifice y parvient-elle ? Dans quel but ? Comment et pourquoi nous fait-on passer de la liberté du désir à la contrainte du besoin ?

Car il existe une réelle liberté dans le vrai désir — évidemment absente dans le besoin — que nous sommes prêts à troquer bien facilement contre quelque chose qui semble infiniment plus précieux ! Mais quoi ?

En réalité, il s’opère d’abord un passage par l’envie.

Les êtres désirants sont transformés en êtres envieux afin de créer le besoin et donc de mieux les assujettir. Voilà pourquoi il est sans doute un peu hâtif de prétendre que le désir est source d’aliénation potentielle car, visiblement, il ne le devient que lorsqu’il ne se déploie plus dans une relation duale entre le sujet et l’objet désiré, mais dans une relation triangulaire entre un sujet désirant, un objet désiré et un autre sujet jouissant déjà de l’objet désiré.

Voilà une nouvelle figure géométrique du désir, qui s’éloigne singulièrement de la droite simple et tranquille que beaucoup imaginent. Et c’est dans les bras de ce triangle — quelque peu pervers — que s’installent alors le besoin et la dépendance, rejetons malsains d’un désir dévoyé.

La pulsion du besoin de posséder ne viendrait finalement pas du manque d’un objet particulier, mais plus exactement d’un manque de joie, d’un manque de bonheur d’être, que l’on croit pouvoir combler par l’avoir, par la possession de telle ou telle chose.

En fait, le seul « Grand Désir » — qui nous habite tous — est le désir d’être heureux. Mais si la plupart du temps nous n’en sommes pas conscients, les publicitaires — au service de notre société de consommation — l’ont bien compris.

Ils ne se servent pas de nos désirs personnels ou de nos manques matériels réels pour vendre ou déclencher le besoin en l’appelant désir ; pour cela il utilise notre dramatique difficulté à être heureux, notre inaptitude au bonheur.

En effet, quel que soit l’objet proposé, il n’est jamais présenté seul, isolé, devant être adopté pour ses seules qualités intrinsèques. Que la cible soit : l’habillement, la nourriture, les loisirs, l’automobile ou encore l’informatique, nous retrouvons toujours des personnes physiques qui mettent en scène un morceau de vie avec l’objet choisi. Et que mettent-ils en scène ? Le plaisir, la jouissance, en clair le bonheur que leur apporte la possession de tel ou tel objet.

Si nous prenons l’exemple de la publicité pour le Coca-Cola, il nous est bien sûr montré la satisfaction que ressentent les acteurs lorsque, par une journée accablante de chaleur ils peuvent enfin étancher leur soif ou lors d’un « coup de stress » ils apaisent leur angoisse et retrouvent subitement la force, le courage d’accomplir l’impossible (!). Mais surtout, effet sournois de la suggestion, grâce à la boisson en question les protagonistes semblent instantanément détendus, joyeux, juvéniles, sereins, amoureux et aimés… Bref, une incroyable et infiniment séduisante harmonie règne dans le groupe, la famille, le couple (images systématiquement utilisées) et cela uniquement grâce à une boisson sucrée et pétillante !

Que demander de plus ?

Il est évident que ce n’est nullement l’objet central de la publicité que nous désirons, mais bien plutôt le plaisir, la joie, le bonheur que paraissent en retirer les personnes présentes.

Nous ne désirons pas ce que l’autre possède, nous envions le plaisir qu’il lui donne et, plus encore, le bonheur qu’il est capable de vivre.

Finalement, la chose en question nous est bien égal, seule importe la capacité de jouissance qu’elle détient, seule importe la joie patente qu’elle procure.

Le fait est là, et nous ne le répéterons jamais assez, nous ne désirons qu’être heureux, vivre dans le bonheur. Ce qui, somme toute, est une noble inclination, un désir éminemment normal et sain.

Cependant, pourquoi ce désir, au départ si humainement naturel, dérape t-il en besoin, puis même en jalousie, avec tout ce que cela implique de possible malveillance à l’égard d’autrui ?

Face à cette question, seule une autre question nous vient à l’esprit : à quel niveau se situe donc notre dépendance ? Autrement dit : à partir de quand trébuchons-nous du désir vers l’envie, du concret vers l’abstrait.

La réponse la plus satisfaisante est sans doute celle qui fait état de l’ignorance dans laquelle nous sommes de nos désirs propres, de nos chemins personnels menant au plaisir, et surtout de cette propension qu’a l’Homme à vouloir posséder ce qui ne peut l’être, à ne désirer que ce qui lui échappe : l’immatérialité du plaisir de l’autre.

Si, pour reprendre notre exemple précédent, une bouteille de Coca-Cola est un objet relativement facile à acquérir, il n’en est pas de même pour le plaisir ou le bonheur qui, eux, nagent en pleine abstraction.

Le bonheur, ça s’achète où ? Combien ça coûte ?

Une fois posées, ces deux questions révèlent toute leur absurdité, voilà peut-être pourquoi nous ne nous les posons quasiment jamais…

En réalité, comme l’essentiel se résume uniquement à posséder cette joie-là, à parvenir à ce bonheur-ci, et non à comprendre l’origine de nos désirs ou de nos pulsions, nous préférons devancer toutes les questions embarrassantes en brandissant l’irremplaçable code-clé : j’achète !

Voilà, nous avons prononcé le mot fatidique, le sésame diabolique. Nous allons tenter d’acheter au meilleur prix le plaisir de l’autre, son bonheur d’être, sa légèreté de vivre !

Stupide… peut-être. Mais néanmoins réel : c’est ce que beaucoup tentent de faire, inconsciemment, presque tous les jours.

« Je ne peux malheureusement acheter que ce qui est à vendre, sinon il y a longtemps que je me serais offert un peu de bonheur.», disait Jean-Paul Getty, important industriel américain devenu milliardaire dans l’exploitation du pétrole.

En fait, toute l’économie semble être fondée sur notre inaptitude à être heureux, sur notre manque cruel de bonheur et de joie, sur une incapacité à s’autoriser le plaisir, à atteindre le bonheur et à le vivre.

Pauvres hères abandonnés des dieux, nous cherchons la joie dans une bouteille de Coca et nous traquons le bonheur dans le regard des autres. Nous nous pensons civilisés, freudiennement acceptables, quand nous ne sommes que de doux-durs, innocents et tristes, à la recherche du paradis perdu.

Voilà donc un des biais merveilleusement tordu par lequel nous passons (la bouche en cœur) de ce que nous imaginons être un désir légitime et personnel, à ce qui s’avère être en réalité une envie pulsionnelle, un besoin induit dans lequel s’inscrit l’effet de mimétisme vers lequel chaque humain tend, dès qu’il cesse de réfléchir.

Ce mimétisme peu aussi être nommé « la contagion du désir ».

Pourquoi est-il difficile de se prémunir de cette contagion ?

Pourquoi désirons-nous ce qu’autrui désire ou possède ?

Parce qu'il nous faut expressément assouvir notre seul Vrai Désir, désir originel qui est, comme nous le disions précédemment, le désir d’être heureux portant comme conditions : le désir d’être estimé, accepté, désiré, le désir de reconnaissance ; autrement dit : LE DÉSIR DE L’AMOUR D’AUTRUI.

Et presque tous les désirs humains ont, en réalité, cette fin.

Marie de Solemne

© Marie de Solemne

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